Le Parisien a récemment publié cette article sur l'église orthodoxe st Serge (rue de crimée) à Paris.
À l’occasion du Noël orthodoxe le 7 janvier, nous sommes allés visiter l’église Saint-Serge, à Paris. Étonnante parenthèse slave dans le XIXe.
La grille en fer forgée contraste avec les enseignes lumineuses de la rue de Crimée (XIXe). Au loin, seule une icône juchée sur une maisonnette révèle l’exotisme du lieu. Après un chemin de terre sinueux qui monte vers la colline, un pavillon de bois apparaît, caché au milieu de la verdure : c’est l’église orthodoxe Saint Serge. Tel un îlot perdu hors du temps.
En gravissant le sentier, le piaillement des oiseaux couvre peu à peu le vrombissement des automobiles. Sur le seuil de l’édifice, Milan Radulovic, longue barbe et yeux bleu clair, comme lui aussi sorti d’un autre âge, accueille ses hôtes d’un air affable.
« Rentrez donc », invite notre guide en ouvrant la lourde porte de bois. On ne sait où regarder : tout n’est que dorure, profusion d’ornements et de couleurs… Des murs bleus, des colonnes vertes, un tapis rouge qui s’étire jusqu’à l’iconostase. Des fresques du plafond aux bancs sculptés, la minutie des motifs est frappante. Milan Radulovic nous tire de notre rêverie. « A l’origine, c’était vide », raconte le chantre de la paroisse.
LP/ Philippe Lavieille
Retour en 1857. Un Allemand, un certain von Bodelschwing, séduit par la magie de l’endroit, décide de construire un temple luthérien. Le style est épuré et simple, propre aux édifices protestants.
L’œuvre « du Michel-Ange russe »
Mais alors, d’où viennent ces décors grandioses ? « Du Michel-Ange russe », s’exclame l’historien Cyril Semenoff-Tian-Chansky. En 1924, le Comité orthodoxe rachète le terrain et commande des esquisses à Dimitri Stelletsky, éminent décorateur de théâtre. Ses modèles sont d’abord refusés. « C’est ça ou rien », martèle l’artiste. Le Comité cède. « Stelletsky était aussi intense que son art », concède Milan Radulovic.
Son œuvre ? « Une fantastique supercherie », s’enthousiasme Cyril Semenoff. Car le visiteur, persuadé de pénétrer dans une architecture en bois, aura la surprise de découvrir, s’il a la curiosité d’en faire le tour, des murs en briques typiques des églises protestantes. « Certains artistes auraient remplacé les vitraux néogothiques ou l’escalier, mais Stelletsky s’est réapproprié les éléments d’origine », détaille l’historien. Un pari risqué. Mais réussi : de cette communion improbable se dégage une incroyable impression d’harmonie.
Grâce à un travail acharné. « Stelletsky a réalisé en deux ans ce que d’autres auraient fait en une décennie », souligne Milan Radulovic. Il dessine, peint, sculpte, agence. De la taille des rosaces à la forme des porte-cierges, l’artiste peaufine chaque détail. Avec un tempérament bien trempé. L’évêque qu’il a enfermé dans l’église — après un différend — aurait pu en témoigner.
LP/ Philippe Lavieille
De la paume de la main, Milan Radulovic effleure les plantes ondulantes d’une peinture murale. « Stelletsky était seulement aidé par deux personnes qui broyaient les couleurs », précise-t-il. Avant de s’attarder devant l’icône Notre-Dame de Vladimir : « Mais c’est elle qui réalisait les finitions ». Elle ? La princesse Lvova. Devant notre air décontenancé, il s’explique : « Stelletsky a collaboré avec cette immense iconographe. Elle a dessiné tous les visages des icônes ». Les yeux noirs, la finesse de la bouche. C’est donc elle. « Seul un génie pouvait se fondre dans l’art de Stelletsky. On a l’impression qu’il a tout fait seul. »
Et pour cause : l’artiste après avoir terminé son œuvre a laissé une plaque avec l’inscription « J’ai commencé à peindre l’église le 6 novembre 1925. J’ai terminé le 1er décembre 1927. Dimitri Stelletsky. » Aucune mention de la princesse. Sympathique.
Eglise Saint Serge, 93 rue de Crimée (XIXe). Visites en dehors des offices sur rendez-vous au 06.32.68.41.92. Ou par mail milanjrad@gmail.com. Gratuit.
Le site de la paroisse http://www.saint-serge.fr
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On rencontre la princesse Lvova, reine des icônes
Elle était « aussi simple et modeste » que Stelletsky, l’architecte et décorateur à l’origine de l’église Saint-Serge, « était original et emporté ». Difficile de trouver des informations en français sur la princesse Elena Sergueievna Lvova. Et pourtant son père n’est autre que le frère du prince Lvov, président du gouvernement provisoire après l’abdication du tsar Nicolas II.
Elle fait partie de ces aristocrates russes contraints de quitter leur pays natal après la révolution de 1917.Ce n’est qu’après son arrivée en France qu’elle se consacre à l’art qui occupera toute sa vie : l’iconographie. Dès la fin des années 1920, elle s’impose comme l’une des meilleures de son temps. De la Finlande à la Tunisie, en passant par l’église Notre-Dame-du-Signe du boulevard Exelmans (XVIe), ses icônes sont partout.
Son empreinte ? Aucune. Son style se fond dans le classicisme. Epuré, simple, sans fioriture. Ses œuvres sont à l’opposé de l’inspiration ardente de Stelletsky. « Elle s’effaçait autant dans sa vie que dans son art. » Cette princesse est restée une figure incontournable, mais méconnue, de l’art russe du XXe siècle.
On découvre : une relique dans une croix métallique
Regardez bien à l’intérieur de la croix métallique de l’icône principale, vous aurez la surprise de découvrir un petit morceau… de Saint Serge de Radonège. Le patriarche de Moscou, Alexis II, a fait don de cette relique à l’ancien recteur en 2000.
Mais d’ailleurs pourquoi l’église est-elle dédiée à ce saint du XIVe siècle ? Par une curieuse affaire de circonstances ! En 1924, alors que de nombreux Russes ont rejoint la France après la révolution bolchevique de 1917, le métropolite Euloge, figure de l’orthodoxie locale, est à la recherche d’une église pour la formation de ses prêtres.
Grâce aux dons amassés par sa communauté, il parvient à acquérir le terrain de la colline lors d’une vente aux enchères… le 24 juillet 1924. Le jour de la fête de Saint Serge de Radonège. Dès lors, l’édifice parisien fut consacré à cette personnalité incontournable de l’histoire religieuse russe.
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