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mardi 10 juin 2014

Un maître de sagesse vanvéen : soirée à la mémoire du starets Serge Chévitch


"Un maître de sagesse vanvéen : soirée à la mémoire du starets Serge Chévitch à Vanves" 

Le 16 mai 2014, une soirée à la mémoire du père Serge Chévitch (1903-1987) a eu lieu dans la salle Palestre en face de la Mairie de la ville de Vanves. Cette rencontre a commencé par une introduction du père Jean-Michel Rousseau, recteur de la paroisse Sainte-Trinité à Vanves, que le père Serge Chévitch desservait jusqu’à sa mort. Dans son discours, le père Michel a présenté les quatre conférenciers de la soirée et le livre de Jean-Claude Larchet Le Starets Serge.

Parlons d'Orthodoxie publie le texte de l'intervention d’Émilie van Taack , fille spirituelle du père Serge

LE PERE SERGE ET SES ENFANTS SPIRITUELS

Père Serge fut véritablement un PERE, dans le sens le plus filial du terme.
Il a adopté un certain nombre de personnes et son amour en a fait ses enfants, avant que des disciples. 

Émilie van Taack : LE PERE SERGE ET SES ENFANTS SPIRITUELS
De même que les enfants ne sont pas toujours ressemblants à leurs parents, de même ses enfants ont chacun suivi la voie qui était la leur devant Dieu; père Serge en ce sens les a véritablement engendrés, au sens fort du terme, en en faisant des personnes libres et uniques devant Dieu.

On m'a suggéré de parler de la méthode suivie par père Serge dans sa direction spirituelle. En fait, il n'avait pas de méthode, mais seulement l'Evangile, le Christ lui même.

Il était lui-même le fils spirituel de l'archimandrite Athanase (Netchaev) qui fut aussi le père spirituel d'Andrey Bloom, le futur métropolite Antoine, de Léonide Ouspensky et de bien d'autres à la paroisse des Trois Saints Hiérarques. Une courte citation de monseigneur Antoine vous fera tout de suite comprendre qui était père Athanase:

"Après mes vœux, il continua à veiller, mais toujours à sa manière; je le rencontrai une fois dans la rue, lorsqu'il attendait un autobus; je m'approchais de lui: "Père Athanase, vous avez reçu mes vœux, mais vous ne m'avez pas donné de règle de prière"... Il me répondit: "Quelle règle te faut-il? Maintenant tu es moine - prie sans cesse!"
Le métropolite ajoute:
"Il ne me donna pas de règle: cherche, essaie de trouver par toi-même... (...): c'est votre vie spirituelle, vous connaissez Dieu à votre manière, alors trouvez Le à votre manière..."

Père Serge lui aussi était un veilleur. 
On ne peut être plus différent de monseigneur Antoine que ne l'était père Serge. Mais comme le père Athanase, le père Serge n'avait aucune recette, seulement le don de soi, absolu à Dieu et à son frère.

Sur cette Voie-là, si le don doit bien être absolu, il n'y a pas de règle, pas d'autre choix que "être soi-même", sur le grand comme sur le petit versant de notre nature.
Le commandement du Christ qui caractérise le chemin personnel du père Serge est à mon avis celui-ci: "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis." 

Émilie van Taack : LE PERE SERGE ET SES ENFANTS SPIRITUELS
"Il n'est pas permis d'aimer sincèrement le Créateur, écrit père Serge à une fille spirituelle, sans aimer l'œuvre de Ses mains. Aimez ceux qui vous entourent: c'est cela aussi la prière de Jésus. Avec chaque effort dans cette direction, tout de suite, de votre cœur jaillira "la source d'eau vive jaillissant jusque dans la vie éternelle". C'est cela l'amour de Dieu, la toute-allégresse du Saint Esprit, et la prière incessante ."

Père Serge a rencontré le père Grégoire (Kroug) et il s'est entièrement dévoué à lui, il s'est consacré à lui de tout son être. Il a modelé sa vie sur les besoins spirituels de père Grégoire, sur ce qui était nécessaire à son salut.

On peut mesurer ce don de soi quand on voit combien père Serge était florissant lorsqu'il est devenu prêtre, mais combien il s'était épuisé quand, trois ans plus tard, il a tonsuré moine père Grégoire. On sait que ce dernier, pendant la guerre, avait souffert de troubles qu'on dirait aujourd'hui psychiques. En fait, il s'agissait de troubles spirituels. Mais, à cause de cela, durant plusieurs années, père Grégoire avait vécu l'enfer. Aussi père Serge jugea-t-il nécessaire de le préparer au monachisme en lui assurant la paix de l'âme. Il lui évita ce qui aurait pu provoquer des rechutes et lui causer des dommages irréparables, en prenant sur lui-même les tentations qui devaient assaillir le novice.

Il n'y a pas eu de développement monastique autour du père Serge durant sa vie à cause de cela. A cela aussi il a lié son combat pour l'humilité: il se considérait comme un simple "compagnon de route", un "conseiller".

"Allez librement [vers le Christ. Sachez que c'est Lui notre Conducteur principal, notre Directeur et notre Maître, que tous les directeurs et les conducteurs d'ici-bas sont seulement des compagnons de voyage sur ce chemin et des conseillers - et rien de plus. Nous ne sommes en rien obligés vis à vis d'eux, ni eux vis à vis de nous."

Le père Serge est ainsi devenu le spécialiste des causes perdues, le médecin des cas désespérés. Sa méthode, il vaudrait mieux dire sa manière d'être, était différente avec chacun. Quand d'autres que père Grégoire lui ont été envoyées, il s'est consacré à eux avec le même dévouement, il a infléchi son orientation en fonction des besoins spirituels de ces personnes.

Par exemple, il rappelait quotidiennement à l'un d'entre eux qu'il lisait chaque jour "trente pages d'exorcismes" à son endroit, afin qu'il veillât sur lui-même avec le même soin qu'il mettait lui-même à le protéger. Si l'on a pris connaissance du poids spirituel que représente la lecture quotidienne de ces prières, on peut juger par là combien il consacrait sa vie à son enfant. 

Je me souviens d'avoir entendu de lui un grand nombre de fois, moi qui lui demandait toujours des solutions toutes faites et des recettes:
"Mais voyons! Vous conduisez, n'est-ce pas? Sur la route, vous ne tournez pas systématiquement à droite ou à gauche! Vous tournez votre volant en fonction de la route qui s'ouvre devant vous, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre! Dans la vie spirituelle, il en est de même! Voyez vous-même, dans chaque cas, dans quel sens vous devez tourner!"

Une telle humilité et une telle consécration à l'autre est irrésistible. Ce à quoi, il faut ajouter sa grâce, sa joie, sa lumière, sa légèreté, son amour spirituel, son extraordinaire beauté - son visage rayonnait d'une telle beauté invisible! Il était une véritable icône vivante! Auprès de lui la prière coulait toute seule! Sa seule vue chassait les tentations. Sa présence apportait instantanément la paix et l'ardeur au travail pour le Christ : l'eau de notre âme, toute troublée qu'elle soit, devenait instantanément claire! Les paroles en devenaient même inutiles ensuite : se confesser consistait souvent à se rappeler ce qu'on avait écrit chez soi, car il ne restait plus rien de la difficulté, de la souffrance, du découragement, des complications imaginées! En ce sens, il obtenait des miracles des fidèles qui venaient à lui. Son amour et sa prières les rendaient capables d'accomplir des choses qui leur auraient paru absolument impossibles et irréalisables, qu'ils ne se seraient jamais crus capables de faire. L'Evangile ou rien!

Aussi insistait-il sur le fait de ne jamais se résoudre à choisir de deux maux le moindre. Il fallait toujours prier Dieu pour éviter et l'un, et l'autre mal et agir en conséquence.

Je voudrais conclure ainsi : père Serge a été vraiment un Apôtre du Christ.


Le groupe qui a fondé la paroisse des Trois Saints Hiérarques avait centré sa prière et son action sur l'Apostolat: prêcher l'Orthodoxie à l'Occident. Père Grégoire considérait lui-même le travail des émigrés russes en France de cette manière. C'est pour cela qu'il a représenté non seulement les Apôtres, sur les fresques qu'il y a peintes, mais qu'il a représenté les Anges et les Saints avec la même bande de mission qui est en principe réservée au Christ et aux Apôtres.

Père Serge, comme saint Paul est celui qui a engendré ses enfants:
"Je vous avertis comme mes enfants bienaimés. Car quand vous auriez dix mille maîtres en Christ, vous n'avez cependant pas plusieurs Pères puisque c'est moi qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par l'Evangile. Je vous conjure donc, soyez mes imitateurs. "
Mais si vous vous souvenez bien, ce passage de la Première Epitre aux Corinthiens est précédé par quelques expressions très fortes par lesquelles saint Paul décrit la condition d'Apôtre:

" Dieu, ce me semble, a fait de nous, apôtres, les derniers des hommes, des condamnés à mort en quelque sorte, puisque nous avons été en spectacle au monde, aux anges et aux hommes. Nous sommes fous à cause de Christ; mais vous, vous êtes sages en Christ; nous sommes faibles, mais vous êtes forts. Vous êtes honorés et nous sommes méprisés! ...Nous sommes devenus comme les balayures du monde et le rebut de tous..." 

Tel était père Serge au moment de sa mort.

Il me semble que père Serge a récolté les fruits sur cette terre à travers ses disciples.
Il est Lui-même mort dans la pauvreté du Christ sur la Croix.
Mais il est ressuscité avec Lui!

Notes
1. "L'archimandrite Athanase", in Messager de l'Exarchat du Patriarche de Moscou en Europe occidentale, n° 105-108, 1980-1981, p. 31.
2. Saint Jean, 15,13.

3. En russe: обвеселение
4. Lettres à une fille spirituelle, Fragment n°4.
5. Lettres à une fille spirituelle, Fragment n°10.
6. 1 Corinthiens 4, 14-15.
7. Ibid., 4, 9-10; 4,13.

Photo prise le 30 Novembre 1957 devant l'entrée de l'église des Trois Saints Hiérarques, à l'occasion de la consécration de Monseigneur Antoine Bloom (quatrième à partir de la droite, imberbe). Le Père Sophrony et le Père Serge sont en deuxième et quatrième position à partir de la gauche. 

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